L'impro entre plaisir et étude
Par Francesco Biamonte - 24 Heures, mercredi 22 août 2001
Le Festival de musique improvisée de Lausanne proposait le premier de cinq cours. Accessible et enrichissant.
L'improvisation est essentielle dans la pratique de la musique ancienne. C'est la conviction de Gaël Liardon, organisateur pour la cinquième année consécutive du Festival de musique improvisée de Lausanne: une manifestation aussi originale que pertinente, qui cherche à redonnner à l'invention spontanée le rôle qui lui revient dans la musique du Moyen Age, de la Renaissance et de l'époque baroque. L'improvisation "à l'ancienne" offre en outre à ses adeptes l'occasion d'un décloisonnement bienvenu, et d'un stimulant échange avec les musiciens de jazz.
Un cours ouvert à tous
C'est ainsi que le festival propose depuis dimanche dernier et jusqu'à vendredi dix concerts, ainsi que cinq journées de cours. Une tentative de donner sa juste place à l'improvisation dans la pratique autant que dans la didactique de la musique: si elle est avant tout un plaisir pour les musiciens qui s'y adonnent et parfois pour ceux qui les écoutent, l'improvisation est aussi un moyen de pénétrer dans un univers musical particulier, de s'approprier de manière très concrète et intuitive à fois la logique et l'esprit d'une esthétique musicale.
Centrée sur l'improvisation à orgue, la série de cours comprenait également avant-hier une journée ouverte à tous les instruments. Une petite trentaine de musiciens s'étaient réunis à cette occasion dans l'église de Saint-Laurent à Lausanne: amateurs, étudiants du Conservatoire ou professionnels de la musique, organistes, clavecinistes, flûtistes, violonistes, violoncellistes, clarinettistes, d'âges et de niveaux très différents, venus de toute la Suisse pour l'occasion ? car de telles initiatives sont encore rarissimes. Nul besoin de grandes et subtiles connaissances pour participer: quelques bases de solfège suffisent, ainsi qu'un rapport un tant soit peu intuitif avec son instrument.
En effet, les professeurs Freddy Eichelberger, claveciniste, et William Dongois, cornettiste, n'exigent pas de leurs élèves qu'ils soient des techniciens virtuoses, et ne s'embarrassent pas davantage de longs discours historiques ni de considérations théoriques développées. Ils donnent tout juste quelques indications de base, et voici que tous les participants se lancent ensemble dans le corps du son, chacun soufflant dans son instrument, tirant sur son archet, faisant jouer les touches d'un clavier. D'abord autour d'un unique accord, chacun avant le choix de jouer une de ses trois notes fondamentales. Puis en faisant alterner selon ses envies plusieurs notes de ce même accord. La même chose ensuite sur une séquence d'accords toute simple. Assez rapidement, on se familiarise avec la tonalité, et surtout, on prend un grand plaisir à s'y fondre.
La complexification vient peu à peu. Au fil de la journée, chacun, selon ses moyens et à son rythme, au prix d'une intense concentration, mais sans aucune pression, commence à se constituer un petit répertoire de motifs mélodiques, d'abord très simples, puis à peine plus élaborés. On l'a compris, un des secrets de la réussite du cours vient de la simplicité des formules proposées: oser rester simple, voilà une des règles d'or de William Dongois et Freddy Eichelberger.
Une piste à suivre
Un autre ingrédient essentiel est le caractère toujours collectif des exercices proposés: chacun peut ainsi se familiariser sans stress avec quelques figures mélodiques de son cru, puis, à mesure qu'une certaine aisance arrive, écouter plus précisément ce qui se passe autour de soi, y répondre, et commencer à tisser des liens dans l'orchestre.
Evidemment, en une journée, les résultats restent modestes. Mais ils donnent clairement à sentir le potentiel de la démarche, et le rôle important qu'elle mérite de jouer dans la musique ancienne, notamment dans son enseignement. Il convient donc d'encourager la précieuse initiative de Gaël Liardon, en espérant qu'elle connaîtra des lendemains radieux. En mutation structurelle, le Festival de musique improvisée cherche d'ailleurs à étendre son équipe et son comité ? avis aux amateurs. Quant au public, il lui reste trois jours pour jouir de l'édition en cours.