Quand la musique redevient langue libre

Par Yvonne Tissot - 24 Heures Week-end, vendredi 11 août 2000

L'image du musicien classique est le plus souvent celle d'un instrumentiste scotché derrière sa partition. Un festival démontre que les «classiqueux» peuvent renouer avec une pratique totale de la musique: vive l'impro!

L’organisateur du Festival de musique improvisée de Lausanne, Gaël Liardon, convainc d'emblée son auditeur et lui donne envie de découvrir cette pratique renaissante: «La première fois que j'ai entendu un concert classique improvisé, j'ai ressenti une émotion beaucoup plus forte que d'habitude. J'avais devant moi un instrumentiste qui jouait et s'exprimait totalement dans l'instant présent. Il ne faisait pas un exercice de mémoire, mais vivait entièrement ce qu'il était en train de faire. Je me suis alors rendu compte que les grands interprètes classiques nous séduisent en grande partie parce qu'ils nous donnent l'impression de jouer leur morceau pour la première fois. En improvisation, c'est toujours le cas, puisque le morceau se crée devant vous!»

Une semaine durant, le public pourra assister à des cours donnés par des improvisateurs chevronnés. Le soir, ceux-ci feront démonstration de leur art. Ces artistes proviennent de différents domaines musicaux, de la musique de la Renaissance au jazz, avec en guest star Malcolm Braff, marathonien lausannois du piano solo. Les instruments joués seront, eux aussi, variés, allant de l'orgue au violon.

De nos jours, dans les écoles de musique classiques, les musiciens ne peuvent jouer de leur instrument sans se référer à une partition écrite, ce qui n'est par contre pas le cas du jazz ou du rock. Cela provient d'une pratique pédagogique née vers la deuxième moitié du XIXe, liée à la multiplication de l'imprimerie et à la «starification» des compositeurs. Auparavant, il n'existait pas de musiciens qui ne sachent improviser. Le résultat fait qu'aujourd'hui l'instrumentiste se considère seulement comme un intermédiaire entre le compositeur et le public, il n'est plus lui-même inventeur de mélodie.

Gaël Liardon compare la musique à une langue. «L'enseignement offert actuellement dans les conservatoires ressemble à celui d'une langue morte. Les élèves la connaissent parfaitement, la lisent et l'écrivent, mais sont incapables de s'exprimer librement avec.» La pratique de l'improvisation permet une réappropriation naturelle de la musique par l'instrumentiste, elle en rend aussi l'apprentissage plus ludique. Finies les pages noircies d'exercices techniques!

Improviser en musique ne signifie pas pourtant jouer n'importe quoi. L'exercice demande une dextérité importante et un intense apprentissage des formes et des styles. Car on improvise toujours selon un code marqué historiquement, que cela soit dans le style de Bach ou de Varèse, de la même manière que l'on peut parler dans le style de Molière ou de Jaccottet. Gaël Liardon explique que cette pratique a complètement transformé son rapport à la musique. Elle change aussi les sensations du public. «Pendant un concert d'improvisation, on vit un réel suspens puisqu'on assiste à quelque chose d'éphémère. De plus, comme devant un numéro de funambule, on se demande: Va-t-il y arriver?»

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