À Lausanne, l'imagination musicale au pouvoir.

Par Alexandre Barrelet - 24 Heures, mardi 11 août 1998

Les musiciens classiques ne connaissent plus l'art de l'improvisation, que leurs prédécesseurs pratiquaient pourtant sans peine. Samedi débute un festival consacré à cette discipline stimulante.

Fort du succès remporté l'an dernier par la première édition, Gaël Liardon, organiste de profession, chapeaute à nouveau un festival d'improvisation, une manifestation, proposée durant une semaine à Lausanne tant aux musiciens chevronnés qu'au plus large public. Un festival particulièrement original, qui est sans doute sans comparaison mondiale, puisqu'il se consacre essentiellement à un art que certains croient soit disparu, soit limité au jazz.

Il y a un siècle ou deux tout compositeur, tout interprète savait improviser. Les contemporains de Liszt, Mozart ou Bach n'ont cessé de décrire l'imagination de ces grands musiciens, capables de. proposer un long récital pans partition, de broder fantaisies, fugues ou variations sur n'importe quel thème, inspiré par une circonstance ou par un instrument. La pratique s'est perdue et pourtant Gaël Liardon la croit nécessaire à une pratique adéquate des styles musicaux. «Jusqu'à la période baroque, les partitions de musique étaient des canevas, presque comme les partitions de jazz aujourd'hui. Jusqu'à ce que les compositeurs prennent peu à peu l'habitude de noter scrupuleusement chaque détail, la musique écrite dressait un programme approximatif, à partir duquel on réalisait un accompagnement, des ornementations, etc. «Et cela correspond à une conception de la musique beaucoup plus libre que ce qu'elle est devenue au cours des XVIIIe et XXe siècles. A tel point que les musiciens ont perdu le réflexe d'apprendre et de pratiquer l'improvisation. Dans la musique classique d'aujourd'hui, l'impro est considérée comme quelque chose d'un peu exotique, alors que toute une partie du répertoire du passé n'est tout simplement pas concevable sans cette connaissance.» Les praticiens de l'orgue - ou une, partie d'entre eux - ont cependant conservé l'usage de la musique sans notes, les offices religieux se prêtant tout particulièrement à son emploi. C'est donc à eux qu'est destinée, en priorité, la semaine d'improvisation lausannoise, même si le cours du mardi 18 août est proposé à tous les instrumentistes. «Le premier problème est souvent d'oser improviser, souligne Gaël Liardon, il faut parfois demander aux élèves de poser les doigts sur le clavier et jouer jusqu'à qu'ils se décoincent. Dès que cette peur est passée, on entre dans l'apprentissage musical des rudiments du langage. Pour le classique comme pour le jazz, on a des thèmes et des grilles d'accords, et il faut pratiquer tous les enchaînements possibles pour se sentir à l'aise. Suit alors la pratique de styles différents, afin de se créer un bagage de formules, de trucs, afin de pouvoir maîtriser un style ou une forme particuliers.»

A Lausanne, cinq professeurs prestigieux vont dispenser leur enseignement: Rudolf Lutz, Freddy Eichelberger, Jean-Yves Haymoz, Jean-Pierre Leguay, William Porter, qui profiteront du patrimoine riche et varié des orgues lausannois pour développer l'approche de styles musicaux différenciés. Rejoints par d'autres musiciens, dont le batteur de jazz Olivier Clerc, ils participeront aux deux concerts prévus quotidiennement durant toute cette semaine où résonnera une musique moins prévisible qu'à l'accoutumée.

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