Orgues à idées
Dominique Rosset - L'Hebdo, jeudi 6 août 1998
Lausanne vit son deuxième Festival d'improvisation sur des instruments classiques.
Né l'an passé de la volonté d'un jeune organiste, Gaël Liardon, un étonnant festival réunit à Lausanne des as européens de l'improvisation classique, musiciens pour lesquels les partitions de Sweelinck, Bach ou Brahms sont des modèles à assimiler plutôt que des œuvres à servir. Et, partant de la formule de l'organiste français Pierre Cochereau selon laquelle «l'improvisation ne s'improvise pas», ces invités donnent - en marge de récitals entièrement improvisés - des cours pour permettre à tout musicien classique d'oser le grand saut, sans partitions-bouées. «l'improvisation s'apprend par a + b, témoigne Philippe Despont, coorganisateur du festival et lui-même fervent adepte de cette discipline. Il existe d'ailleurs de nombreux traités, depuis le XIVe siècle, qui donnent des clés et des outils très précis pour en acquérir la technique.» Normal: elle faisait partie intégrante du métier de musicien avant de laisser humblement la place, avec l'apparition des conservatoires, «à l'interprétation - ou, dans le pire des cas, l'exécution - des chefs-d'œuvre». Associée aujourd'hui presque exclusivement à l'univers du jazz, l'improvisation garde cependant ses pratiquants irréductibles, le plus souvent organistes: «Dans notre pratique de musicien d'église, il est essentiel de pouvoir répondre aux impératifs, pas toujours prévisibles, de la liturgie», relève Philippe Despont. S'ajoute à cette volonté d'adaptation, certes fort utile, une véritable aspiration musicale et spirituelle: «L'improvisation exige que l'on décrypte des règles avant de les recréer. En cela, elle est la seule école pour connaître et acquérir véritablement un style, proclame ce passionné du baroque italien. Garante d'un savoir-faire, elle nous donne de surcroît la juste dimension de notre métier de musicien: un rôle d'artisan.»
Paradoxalement, l'improvisation n'est donc pas toujours vécue comme un espace de liberté. Si certains organistes se sentent une âme de compositeur, d'autres y ont recours pour le pur plaisir de «parler» divers styles, comme on parle diverses langues ou, comme Philippe Despont, afin de renouer avec un «acte sacré, à la manière des musiciens de l’Inde qui improvisent leurs raga selon des traditions séculaires. En improvisant, je deviens un outil, un élément par lequel passe le message divin.»
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